4 Décembre 2024

« Réussir à réaliser ces travaux en pleine guerre relève du miracle ! »

de EMILIE REY

Alors que le gros œuvre du Terra Sancta Museum Art & History touche à sa fin, nous nous sommes entretenus avec Leonardo di Marco, Directeur du Bureau technique de la Custodie de Terre Sainte en charge du suivi de l’exécution du chantier. Il revient sur ces derniers mois et les difficultés auxquelles il a dû faire face pour mener à bien ces travaux financés par NDC/AFD.

Bonjour Leonardo, quelles sont les actions concrètes que vous avez menées pour assurer la stabilité structurelle du musée ?

Des travaux de consolidation des fondations et de rejointoiement en profondeur de la maçonnerie ont été réalisés dans l’ensemble du musée, c’est-à-dire dans les 28 salles du futur Terra Sancta Museum Art & History. Parmi tout ce que nous avons entrepris, j’aimerais mentionner un procédé plutôt rare en Palestine, celui des injections murales. Pour vous donner une idée de l’ampleur des travaux réalisés : 759 sacs de 25 kg de mortier de chaux ont été injectés, ce qui représente environ 19 tonnes. Je suis très fier que, main dans la main avec les ouvriers, nous ayons pu accomplir cette tâche. Et il s’agit d’un véritable transfert de compétences car l’équipe palestinienne qui effectuait l’opération le faisait pour la première fois.

En ce qui concerne la réalisation du sol. Nous n’avons réalisé qu’une partie des nivellements prévus car les architectes nous ont suggéré d’attendre. En effet, des études sont toujours en cours et il se peut qu’ils installent des canaux de ventilation de grand volume en profondeur. Nous avons également travaillé sur 4 citernes historiques. L’eau a été vidangée, ainsi que tous les dépôts accumulés au fil des ans. Ces citernes ont ensuite été lavées à l’intérieur avec de l’eau à haute pression puis asséchées. Elles ne constituent plus une menace pour la gestion de l’humidité dans le musée. Ces citernes sont des objets à préserver à tout point de vue, et même s’il ne sera pas possible d’y accéder physiquement, la démonstration de leur existence pourrait enrichir la future muséographie du musée.

D’autres actions ont elles été entreprises pour la gestion de l’humidité ?

Nous nous sommes occupés des toits, des cours, des gouttières, des passages à travers le musée, en regroupant, simplifiant, rationalisant tous les points de collecte d’eau. Des canaux qui traversaient le musée ont été éliminés. Certains qui étaient impossibles à déplacer ont été conservés avec un accès et une maintenance aisée. C’était l’étape la plus importante pour éliminer toutes les sources d’humidité qui peuvent concrètement endommager les œuvres d’art ainsi que les murs et les sols. Au total, plus de 45 mètres de conduites d’eau pluviale et d’égouts ont été détournés de la zone d’exposition ! En outre, une vingtaine de capteurs d’humidité ont été achetés et installés à divers endroits stratégiques du chantier et dans les réserves du musée où sont actuellement conservées les collections. En recueillant des données sur la température et l’humidité au cours des mois de la construction du musée, nous serons en mesure d’obtenir le meilleur climat possible pour le musée.

Je tiens à mentionner que parallèlement au chantier, des efforts de communication et de partage d’expérience ont été menés en présentant à la communauté palestinienne le projet global par le biais de visites du site, de 5 ateliers d’architecture avec l’université de Birzeit et l’université de Bethléem et d’une exposition dans les environs du musée.

Le chantier a été interrompu à plusieurs reprises. Quels ont été vos principaux défis ?

Le projet a en effet débuté à l’été 2022 mais les travaux ont été interrompus par la guerre. Le dernier jour de travail a donc été le 6 octobre 2023, après quoi le chantier a été suspendu jusqu’à la fin du mois de mars 2024. Pendant six mois, il a été techniquement impossible d’accéder au site. La reprise du travail a été rendue possible grace à l’obtention de permis pour les travailleurs des Territoires palestiniens. Ces permis n’ont pu être obtenus que grâce à l’intervention de la Custodie de Terre Sainte en tant qu’Église. Les permis de travail strictement réservés aux entreprises privées sont toujours suspendus ou très difficiles à obtenir. Quels que soient les permis obtenus, certains jours, seuls un ou deux points de contrôle (check points) dans les Territoires étaient ouverts, obligeant les travailleurs à effectuer de longs trajets jusqu’à Jérusalem. Les travaux ont pris de plus en plus de retard, mais nous ne pouvions absolument rien faire !

L’entreprise n’aurait-elle pas pu trouver des travailleurs résidant en Israël ?

Il s’agit de travailleurs de confiance avec lesquels l’entrepreneur, Mr. Fix, travaille depuis longtemps et qu’il peut difficilement remplacer par d’autres qu’ils soient en Israël ou à Jérusalem. Vous devez vous rendre compte de l’impact de la guerre sur le marché du travail. L’absence de main-d’œuvre en provenance des Territoires a fait grimper en flèche le coût de la main-d’œuvre en Israël. Sans l’intervention de la Custodie pour obtenir ces permis, le contrat aurait été annulé ou tous les prix, initialement calculés dans un contexte complètement différent, auraient dû être renégociés. Le coût du projet aurait doublé. Ce scénario était impensable. 

Nous avons été confrontés au même problème avec les matériaux : la guerre a perturbé toute la chaîne d’approvisionnement, entraînant une hausse des prix et des ruptures de stocks en cascade. L’entreprise a été obligée de s’approvisionner en plusieurs endroits et les délais de livraison se sont considérablement allongés. Là encore, nous avons dû nous adapter en acceptant ce rallongement de délais de livraison. Je tiens à remercier NDC pour son aide et sa compréhension. Dans un discernement commun, nous avons choisi de travailler sur le calendrier, la variable « durée du projet », tout en respectant cette échéance, improbable, de la fin d’année 2024. Mais les difficultés ne se sont pas arrêtées là : les transferts d’argent entre les comptes palestiniens et israéliens ont encore compliqué les choses. 

Croyez-moi, mener à son terme ce projet dans un contexte aussi complexe relève du miracle ! Je suis fier de ce que nous avons accompli, en faisant preuve d’intelligence et de respect tant à l’égard de la communauté palestinienne (l’entrepreneur et ses ouvriers) que de notre bailleur de fonds, le NDC/AFD, avec lequel nous avons dû réviser à plusieurs reprises le contrat (pas moins de cinq avenants). Le projet de musée avance et nous venons certainement de franchir une étape importante.

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