La pharmacie de Saint-Sauveur à Jérusalem
Un savoir unique au Moyen-Orient
L’inventaire de la pharmacie du monastère Saint-Sauveur de Jérusalem contient une riche collection de brocs, albarelles, vases et bocaux d’apothicaires, pharmacopées, traités médicaux et registres soigneusement conservés. Pendant plusieurs siècles, cette pharmacie a servi les besoins des frères et des pèlerins, de la communauté chrétienne, mais aussi de toute la population de la ville, sans tenir compte des croyances.
Cette brève exposition multimédia présente l’histoire de la pharmacie, quelques éléments de la collection de vases avec leurs fonctions respectives et quelques pages d’anciens livres de recettes et antidotes qui nous sont parvenus.
Bulle de Clément X
Par le passé, l’impossibilité d’avoir recours à des médecins locaux obligea les frères de Terre Sainte à former certains religieux aux arts de la médecine et de la pharmacie, pour œuvrer au bénéfice de la communauté. Les premiers témoignages remontent à 1480, lorsque le pape Pie II envoya à Jérusalem frère Baptiste de Lubeck, médecin expérimenté, afin de soigner les religieux de la Custodie. Très vite, cependant, se fit ressentir le besoin d’étendre les soins médicaux à l’intégralité de la population locale.
Le pape Clément X s’exprima officiellement en faveur de telles activités caritatives avec la lettre Cum sicut dilectus, le 7 juillet 1670, dans laquelle il réglementa l’exercice des activités médicales et pharmaceutiques des religieux de Terre Sainte.
Bulle « Cum sicut accepimus », Rome, 1670 (Inventaire ASCTS, Tome II, p. 33, n. 90);
La pharmacie de Saint-Sauveur
A partir du XVème siècle, on trouve de nombreux témoignages historiques des activités des frères au sein de la pharmacie de Saint-Sauveur. Cette dernière resta longtemps la seule pharmacie de Jérusalem et de tout le Moyen-Orient.
“L’apothicairerie est suffisamment fournie en toutes sortes de médicaments, acquis grâce à la charité des bienfaiteurs de Terre Sainte, et en particulier de celle de la Sérénissime République de Venise, pour pouvoir soigner et rétablir les malades”, écrit Père Horn dans la première moitié du XVIIIème siècle.
Album Missionis Terrae Sanctae: album Palestino-Seraphicum. SS. Locorum prospectum, religiosa domicilia, elementares pro utroque sexu scholas, alique opera Seraphicae Terrae Sancate Custodiae referens, Jerusalem, 1882;
Les vases de la Custodie de Terre Sainte
Au cours des siècles, le laboratoire pharmaceutique devient toujours plus actif, et la science médicale des frères s’approfondit. La collection conservée jusqu’à aujourd’hui comprend un grand nombre d’exemplaires fabriqués spécifiquement pour la Custodie de Terre Sainte, comme en témoignent ceux sur lesquels sont représentés la croix de Jérusalem et l’emblème franciscain.
Vase à électuaire et albarelle en majolique, décor et écu aux armes de la Custodie de Terre Sainte, produits à Savone (Ligure) par Giacomo Boselli, 1791.
Le résultat d’une coopération internationale
L’approvisionnement de cet important laboratoire en appareils et instruments (fourneaux, alambiques, vases et récipients) et en matières premières n’aurait pas été possible si la Custodie de Terre Sainte n’avait pas bénéficié d’une coopération internationale. La lecture des anciens registres d’entrées signale en effet l’arrivée de vases de verre et céramique d’Espagne, de vases de métal d’Allemagne et d’Autriche, d’alambiques de Venise, de toutes sortes de plantes médicinales des grandes villes italiennes, mais surtout d’Espagne et du Portugal.
Réceptaire en Espagnol, divisé en différentes sections, contenant en plus des recettes la transcription de quelques lettres échangées entre le pharmacien de Saint-Sauveur et le père Novoa de la province de Saint-Jacques-de-Compostelle en 1910, un petit calendrier manuscrit et des coupures de presse, Bibliothèque Générale de la Custodie de Terre Sainte, XXème siècle.
La pharmacie dans le système économique et commercial
Nous ne pouvons pas exclure que le personnel médical franciscain travaillant dans la pharmacie de Saint-Sauveur ait pu avoir une influence sur le choix des vases acquis, notamment en raison des relations que les Franciscains entretenaient avec les commissaires de Terre Sainte de Gênes et de Venise.
Les relations mercantiles que nous devons saisir derrière la commercialisation des vases de majolique impliquent différentes activités et intérêts. On peut penser par exemple aux activités de l’atelier de céramique, et au rapport avec le fabriquant, mais aussi aux difficultés de transport des marchandises, de leur lieu de production à un port du Moyen-Orient, et de ce dernier à Jérusalem.
La plupart des vases conservés dans la pharmacie de Saint-Sauveur sont de production vénète et ligure, mais certains proviennent aussi de Pesaro, des Abruzzes, et de Sicile.
Albarelles de majolique avec couvercle, décorés de motifs végétaux et de figures masculines, atelier des Callegari e Casari (Pesaro), v. 1775.
Les vases de Gênes
Certaines pièces ont été commandées par la Custodie de Terre Sainte à la manufacture Boselli de Savone, près de Gênes, en Italie. La collection fut ensuite enrichie de pièces supplémentaires en provenance de Venise. Les vases de Savone datent du XVIIème au XIXème siècle. Bien d’entre eux portent la marque de la manufacture sous le pied (un aigle couronné), ainsi que la signature « Giacomo Boselli Savona 1791 ». Sur la panse des brocs, en plus du nom du produit et des décorations, on trouve peintes les armes de la Custodie de Terre Sainte et celles de la République de Gênes.
Albarelle en majolique pour un onguent de résine, décoré et aux armes de la République de Gênes, production de Giacomo Boselli, Savone, 1791.
Les vases de Venise
D’autres vases provenant de Vénétie constituent un ensemble remarquable. Leur datation (entre le XVIIIème et le XIXème siècle) et leurs conditions de production sont soumises à discussion. En effet, contrairement aux vases ligures, ils ne portent pas de marques propres, qui pourraient donner des informations sur le lieu de production. L’unique symbole qui se répète sur tous les vases est le lion ailé. Ce symbole pourrait désigner Venise comme lieu de production, mais pourrait aussi indiquer que Venise fut seulement commanditaire de la production, ou bien seulement fournisseur des ingrédients, herbes ou médicaments.
Bocal de majolique de Sirop de pavot rouge avec couvercle, décoré, aux armes de Venise et à la croix de Terre Sainte, XVIIIème siècle.
Albarelle
Ce type de vase est de forme cylindrique, avec une lèvre plus étroite. Il était utilisé pour les onguents, sels, médicaments, produits pharmaceutiques. La collection nous montre que le contenu de l’albarelle pouvait être plus varié, selon les dimensions et la quantité des médicaments. En effet, certains albarelles plus petits contenaient des pilules.
Albarelle en majolique de pilules, décoré de végétaux, animaux, et amours, atelier de Savone, v. 1670.
Bocaux ou “orciolo”
La morphologie du bocal nous fait comprendre immédiatement son mode d’utilisation et sa fonction, qui se limite à contenir des substances de consistances suffisamment fluide pour pouvoir être versée. Le vase est destiné aux huiles et sirops. Les dimensions des bocaux sont relativement uniformes.
Bocal en majolique de Jus acide de cèdre, décore d’éléments végétaux et de cupidons, probablement produite par l’atelier Angelo Levantino, de Savone, v. 1640.
Vase étamé et vase à électuaire
Il s’agit d’un vase de dimension remarquable, qui devait avoir un poids considérable à remplissage partiel ou total, ce qui limitait ses déplacements. Ne pouvant pas être soumis à des mouvements fréquents, ce contenant devait plutôt être posé sur une des étagères de l’armoire à épices, et y rester immobile, avec la partie inférieure à une hauteur telle qu’elle puis être facilement à portée de main. En effet, juste au dessus du pied, il y a un trou destiné à contenir la canule d’un robuste robinet de bronze fixé à la paroi, ce qui est un unicum dans la morphologie des vases.
Vase étamé d’eau d’orge, en majolique, avec une inscription de contenu, et un décor d’insignes héraldiques et d’animaux, atelier de Savone, v. 1750.
Formes pharmaceutiques
Grâce à l’étude des vases de pharmacie, on arrive à avoir une idée du degré d’organisation et de compétence atteint au fil du temps par les frères en charge de cette activité. La morphologie des objets fournit des informations sur leur fonction spécifique, sur les caractéristiques de leur contenus, et nous permet de comprendre les produits pharmaceutiques utilisés par le passé, leurs compositions, méthodes de préparation, et usages.
Bouteille de verre de « Spiritus Aethereus », production allemande, XXème siècle.
L’étude de la collection
L’étude de la collection pharmaceutique et médicinale nous présente un large spectre du passé, sous différents points de vue : artistique (étude de la manufacture, des décorations, de la technique), économique (les rapports commerciaux internationaux), pharmacologique et médical (étroitement lié aux événements épidémiologiques), et enfin social. Il faut en effet garder à l’esprit que l’inventaire de la pharmacie constitue un témoignage important des conditions épidémiologiques du passé, qui dépendaient de nombreux facteurs. Ils nous fournissent des informations regardant l’alimentation, le niveau d’hygiène, la position géographique, et les conditions économiques d’un contexte historique et social déterminé.
Réceptaires et Antidotaires
L’étude des vases, parallèlement à celui des antidotaires et réceptaires de 1500 à 1800, a été un instrument important pour sonder l’histoire de la médecine. On a en effet pu constater que les écrits correspondaient à des formules dans lesquelles entraient une quantité considérable d’ingrédients. Cette étude, étayée par la comparaison avec les pharmacopées contemporaines, suggère que les remèdes officinaux, préparations et médicaments parfois conservés dans la pharmacie, faisaient partie de formules plus complexes. Ces dernières constituent les remèdes magistraux, issus de l’art du médecin à mêlent ensemble différents médicaments, pour leur donner une composition et une forme adaptée à l’objectif du médecin.
Donzelli Giuseppe, Théâtre pharmaceutique, dogmatique et spagyrique, avec Giovanni Giacomo Roggieri, Catalogue des plantes indigènes du sol romain, Venise, Gasparo Storti, 1696. Il s’agit d’un vaste recueil de recettes, procédés chimiques et pharmaceutiques, d’observations botaniques, pharmacologiques et d’herboristerie, divisée en trois parties. De la Bibliothèque générale de la Custodie de Terre Sainte (MED 33);
Les préparations galéniques
Généralement, le pharmacien recevait une ordonnance du médecin, pouvant contenir des médicaments conservés dans la pharmacie (onguents, miels, conserves, jus, baumes, extraits, sirops, poudres), ou alors de produits nécessitant une préparation sur le moment. Cela laisse à penser que les pots et récipients pouvaient être disposés à l’intérieur de la pharmacie de manière plus ou moins complexe, selon le temps de stockage ou de préparation (qui pouvait être très long).
Daniele Gatas, Raccolta di segreti farmaceutici, 1778. Dans le livre divisé en dix-neuf chapitres, les descriptions des maladies et remèdes décrits sont accompagnées de symboles chimiques et alchimiques, dont sont issues les explications. Conservé à la Bibliothèque Générale de la Custodie de Terre Sainte (Manoscritto MS. 76);
Le baume de Jérusalem
Les frères devinrent également des spécialistes de l’art galénique et phytothérapeutique ainsi que de l’art pharmaceutique, comme le rappelle le « Baume de Jérusalem ». Ce médicament connut un grand succès à partir du XVème siècle, non seulement au Moyen-Orient mais aussi en Europe, où il est utilisé encore aujourd’hui.
Composé de boswellia, un type particulier de plante utilisée pour la production d’encens, de myrrhe, d’aloès et d’arbre à mastic, le baume nécessitait une préparation précise et, ses propriétés anti-inflammatoires, antibactériennes et antioxydantes en faisaient une panacée appropriée pour traiter différentes maladies.
Photographie du laboratoire et de la distillerie pharmaceutique à l’intérieur du monastère Saint-Sauveur.
La pharmacie dans le nouveau musée
La pharmacie servit la population de Jérusalem jusqu’à la Première Guerre mondiale. La difficulté à s’approvisionner en médicaments pendant la guerre et l’ouverture d’autres pharmacies dans la ville incitèrent la Custodie à mettre fin à ce service devenu obsolète.
L’ancienne pharmacie revivra dans une des salles du futur département historique du Terra Sancta Museum qui, selon le projet du muséographie Jérôme Dumoux et de l’architecte Vincenzo Zuppardo, aidera le visiteur à remonter le temple. Les études et recherches effectuées jusqu’à présent permettent de reconstituer fidèlement les pièces de la pharmacie, les étagères, et la disposition des vases. Dans la salle de la pharmacie, vous pourrez également observer de près l’équipement pharmaceutique, toucher les reproductions des vases de l’apothicaire et sentir les parfums des épices qui autrefois guérissaient les habitants de Jérusalem.