Les présents de Louis XIV offerts pour le Saint Sépulcre de Jérusalem
L’un des ensembles les plus étonnants de l’orfèvrerie religieuse française, offerte par le Louis XIV à la Terre Sainte, est conservée par la Custodie franciscaine de Jérusalem depuis le XVIIe siècle. Les plus belles pièces seront présentées dans la future salle du Terra Sancta Museum dédiée aux présents français. Michèle Bimbenet, conservateur général du département Objet d’art du Musée du Louvre et membre du Comité Scientifique international nous livre le récit de cette acquisition hors du commun.
On sait combien l’orfèvrerie française fut régulièrement détruite tout au long de l’Ancien Régime, à l’initiative même des souverains qui s’efforçaient ainsi d’alimenter les hôtels des Monnaies pour financer leurs campagnes militaires. Louis XIV fut sans doute à cet égard bien plus destructeur que n’allait l’être la Révolution française : ses principales ordonnances de fontes, promulguées en 1689 et 1709, réduisirent à néant non seulement l’orfèvrerie de ses loyaux sujets, mais aussi tout cet environnement de métal précieux qui faisait sa gloire, du mobilier d’argent de ses palais à la vaisselle d’or de sa table.
Faute d’œuvres conservées en nombre, il est donc particulièrement difficile de reconstituer l’orfèvrerie des chapelles royales, même si les archives de la sourcilleuse gestion du Garde-Meuble en livrent des descriptions assez précises. Pourtant, tout au long du règne de Louis XIV, de nombreux ensembles d’objets liturgiques furent commandés pour le service du roi et de la reine, tant à Versailles que dans les autres résidences royales, et chacun des princes de la famille royale en était également gratifié.
S’attirer les grâces du Custode de Terre Sainte
C’est dans ce contexte qu’il convient d’étudier l’un des ensembles les plus étonnants de l’orfèvrerie religieuse française encore attaché au nom de Louis XIV : la chapelle en vermeil offerte par le roi de France au Saint-Sépulcre, et qui s’y trouve encore, précieusement conservée par les Franciscains de la Custodie de Terre Sainte. Les rois de France ne furent pas les seuls princes européens à gratifier de leurs présents le Saint Sépulcre mais leur générosité s’y manifesta au cours du XVIIe siècle de façon toute particulière. Depuis 1516, date de la mainmise des Ottomans sur les Lieux saints, les souverains français avaient fait de la protection des intérêts chrétiens de Palestine l’un des arguments affichés de l’alliance franco-ottomane. Cette politique orientale initiée par François Ier au temps de Soliman le Magnifique, propre à la France et âprement critiquée par ses voisins d’Europe, avait l’avantage de concilier les intérêts politiques et économiques du « Roi très chrétien ». Elle n’était pas exempte d’arrière-pensées, en l’occurrence d’une certaine volonté de protectorat sur les Lieux saints qui s’était traduite, sous Louis XIII, par la tentative éphémère d’installation d’un consul français à Jérusalem. Rien d’étonnant donc à voir Louis XIV reprendre à son compte la politique de ses prédécesseurs et tenter, par de splendides présents, de se concilier les grâces du Custode de Terre Sainte.
Le premier présent, daté par ses poinçons de 1654, lui était donc destiné : il s’agit d’une impressionnante crosse en argent dorée sertie de pierreries à facettes, en table ou en cabochons, à hampe fleurdelisée, de près de deux mètres de long. Son nœud prend la forme d’un tempietto flanqué de colonnes torses et couvert d’un dôme, au centre duquel se tient l’effigie de saint Louis tenant son sceptre de la main droite et, de la main gauche, la couronne d’épines et les clous de la Passion. On ignore quelle réception fut faite à ce somptueux présent, mais sans doute la générosité du roi fut-elle sans effet mémorable, car dix ans plus tard, en 1664, le roi renouvelait son geste peu après l’élection d’un nouveau custode. Il s’agissait cette fois d’un magnifique calice en argent doré, gravé de l’inscription « LUDOVICUS. DECIMUS. QUARTUS. 1664 », ciselé au pied de l’écu royal aux armes de France et de Navarre et de la figure de saint Louis, orné au nœud des effigies du Christ, de saint Antoine de Padoue et de saint François disposées dans des niches, et ciselé sur la fausse coupe des scènes de la Flagellation, la Crucifixion et la Résurrection. Le calice porte encore la trace des emplacements des pierreries qui, à l’instar de la crosse offerte en 1654, y étaient autrefois serties. Une patène en argent doré, ciselée d’une Assomption, l’accompagnait, comme peut-être d’autres objets aujourd’hui perdus.
L’orfèvre parisien Nicolas Dolin
Marqués par une ciselure précise et vigoureuse, les trois objets conservés au Saint Sépulcre sont signés du poinçon de l’orfèvre parisien Nicolas Dolin. Ce grand orfèvre, dont l’atelier fut actif de 1648 à 1684, est connu pour la qualité de ses œuvres religieuses, par exemple la très complète chapelle conservée au trésor de la cathédrale de Troyes qu’il exécuta entre 1665 et 1667 pour le château de Villacerf, et qui figure au nombre des rares ensembles encore conservés en France. Le calice est ciselé d’épisodes de la vie de la Vierge et la patène, d’une Pentecôte, où la présence de Marie, personnification de l’Eglise, confirme la thématique mariale de l’ensemble offert à l’évêque. Les autres œuvres connues de Nicolas Dolin, toutes religieuses, prouvent combien l’orfèvre savait interpréter avec un égal talent les scènes des évangiles inspirées des ouvrages de piété et les motifs ornementaux du répertoire profane délicatement adaptés aux exigences de la liturgie. Uniques présents explicitement offerts par Louis XIV à la Custodie de Jérusalem, les œuvres de Nicolas Dolin ne sont pas les seuls objets liturgiques français encore conservés au Saint Sépulcre.
Du règne de Louis XIV subsiste encore un très beau calice en argent doré accompagné de sa patène, dont le donateur reste anonyme. Exécuté par un orfèvre parisien vers 1659-1660, le calice est entièrement ciselé d’épisodes de l’enfance de Jésus, tous disposés dans des cartouches fleuronnés séparés par des têtes d’anges. Sans doute le calice était-il destiné, en vertu de son iconographie, à la basilique de Bethléem. Parmi d’autres objets français encore conservés au trésor du Saint Sépulcre, signalons enfin un splendide ciboire d’argent doré qui fut exécuté à Paris par l’orfèvre Jean Hubé en 1668. Sommé du Christ ressuscité en ronde bosse porté par des nuées, il est entièrement ciselé d’épisodes bibliques préfigurant l’Eucharistie ou illustrant la Passion. On sait combien les orfèvres français ont puisé longtemps dans les éditions illustrées lyonnaises de la Renaissance afin d’interpréter ces scènes, charmantes de vivacité et d’élégance, qui faisaient leur réputation de ciseleurs : les œuvres conservées au Saint Sépulcre illustrent parfaitement leur aptitude à modeler les corps, à varier les figures, les visages ou les postures et, par les subtils contrastes opposant les surfaces polies ou amaties, à jouer magnifiquement avec la lumière.
Sans doute n’est-ce là qu’un trop bref aperçu des somptueuses œuvres d’art dont l’intense piété des pèlerins et des souverains d’Europe a doté pendant des siècles les sanctuaires des Lieux saints. Mais s’agissant d’orfèvrerie française, les présents de Louis XIV permettent d’évoquer les chapelles palatines disparues et, au-delà du geste politique du souverain, de mieux comprendre l’importance de cette orfèvrerie liturgique de la Réforme catholique dont les décors, inspirés des textes bibliques, avaient vocation à soutenir l’éducation autant qu’à nourrir la foi des fidèles.
Extrait de l’article écrit pour le numéro de Terre Sainte Magazine de mars-avril 2011, à l’occasion de l’exposition au Château de Versailles intitulée « Une chapelle pour le Roi à l’occasion du tricentaire de l’édifice ».