30 Juin 2022

L’art au service de la rencontre avec Dieu

de OLIVIER RENARD

En service auprès de la Custodie de Terre Sainte depuis 2013, le frère Rodrigo Machado Soares est cérémoniaire et directeur adjoint de l’office des Biens Culturels. Bien qu’au premier abord elles puissent sembler très éloignées, ces deux fonctions l’amènent chaque jour à travailler au contact du patrimoine culturel des franciscains de Terre Sainte dans un même but. Nous le rencontrons aujourd’hui afin de découvrir en quoi consiste son travail, peu connu, et de mieux comprendre la spécificité du Terra Santa Museum et ce qui se cache derrière l’expression d’« objets vivants ».


Rodrigo, peux-tu nous dire en quoi consiste le travail de cérémoniaire ?

Le travail de cérémoniaire consiste à guider et accompagner le rite et les différentes célébrations liturgiques, à faire en sorte que tout se déroule de la façon la plus belle et la plus naturelle possible, tout en se conformant à ce qui est prescrit. Au-delà de cet aspect technique, l’objectif principal est d’aider à la prière. Une célébration bien préparée et bien ornée permet que toute l’assemblée puisse vivre et profiter pleinement de ce moment particulier.

D’une certaine manière, on pourrait dire que le cérémoniaire agit comme un intermédiaire ?

Je dirais plutôt que le cérémoniaire a un rôle de médiation entre les acteurs (les célébrants) et le livre, de sorte que le livre puisse se réaliser à travers les acteurs. De cette manière, les acteurs peuvent suivre et accomplir ce qu’ils doivent au moment adéquat. La liturgie doit être belle parce qu’elle tend à la réalisation de quelque chose de plus profond qui est la rencontre de l’homme avec Dieu. Au moment de cette rencontre, à l’occasion de laquelle se célèbre le Mystère, si l’un des acteurs ne sait pas quoi faire, cela devient très vite chaotique. 

Alors comment se prépare une célébration ? Quelles en sont les étapes ?

Évidemment, le rôle du cérémoniaire ne se limite pas seulement du début de la célébration au Prosit. Il faut d’abord choisir tous les éléments qui composent la célébration, en collaboration avec les sacristains (c’est un travail d’équipe, le cérémoniaire ne travaille jamais seul). Ce choix se fait en fonction du mystère célébré et du ton de la célébration : une célébration pénitentielle n’est pas la même chose qu’une solennité comme Pâques. Il doit également prendre en compte le lieu, afin d’être en harmonie avec le bâtiment et plus généralement le contexte environnemental. 

Ici, il faut noter une particularité des Lieux Saints. Être cérémoniaire en Terre Sainte est un peu différent de n’importe quelle autre partie du monde car il y a des spécificités liturgiques qu’on ne trouve qu’ici. Le cérémoniaire doit donc avoir une connaissance plus large du statu quo pour savoir où, quand et comment il peut se déplacer [dans le sanctuaire], ce qu’il est possible de faire et ce qui ne l’est pas.

La première étape consiste à établir la liste de tous les éléments et acteurs nécessaires à la célébration et à les contacter : le lieu, le service (qui célèbre et combien sont-ils), les chants et l’organiste (car la musique guide tout le monde d’une certaine manière). Vient ensuite la préparation du lieu et le choix du style qui va être déployé en fonction du degré de la célébration et de son ton. Ici, les éléments matériels sont choisis de manière à former un tout : si la couleur liturgique est le rouge, on pourra utiliser notre devant d’autel vénitien avec des chandeliers dorés car ce dernier est brodé en or. Si le devant d’autel est argenté, on utilisera des chandeliers en argent. Certains objets sont parfois liés à une célébration spécifique à cause d’une tradition, comme le tabernacle dit “du Pérou” qui a été fabriqué et offert pour la célébration du Jeudi Saint.

Lorsque tout est prêt (les fleurs, les autels, les ornements, etc.), la répétition avec les diacres commence, d’abord seuls puis avec tout le service. Enfin, une heure avant la célébration, tous les éléments sont disposés, la chorale est réunie, je procède avec mes collaborateurs aux dernières vérifications et sont choisies les langues utilisées pour la liturgie, les personnes qui liront les lectures et celles qui feront la procession d’offertoire.

Par exemple, pour Saint-Sauveur, deux jours de préparation sont nécessaires, auxquels se rajoutent le jour de la célébration et un autre jour pour tout démonter et remettre en ordre. Dans les sanctuaires, c’est un peu différent, car nous ne pouvons pas utiliser les lieux quand nous le voulons. Au Saint-Sépulcre, si la messe est devant le tombeau, il est impossible de répéter la veille car cela bloquerait tous les pèlerins qui viennent y prier. Nous arrivons donc deux heures plus tôt et la répétition a lieu le jour même. C’est un gros travail qui se compose de petits détails qui doivent se succéder parfaitement pour ne pas provoquer un enchaînement de contretemps. La liturgie doit être brève, simple, soignée, mais elle doit surtout garder un rythme pour ne pas être bâclée.

Maintenant, parlons un peu du musée de la Custodie de Terre Sainte. Tu es également directeur adjoint de l’Office des Biens Culturel. Comment vois-tu le lien entre ces deux activités ?

D’une certaine manière, elles sont complémentaires car notre musée est un musée d’objets vivants qui conservent leur fonction liturgique. Ce sont d’abord des objets de culte avant d’être des œuvres d’art. Cela crée un lien très intéressant entre mes deux activités : c’est une façon de mieux connaître notre patrimoine qui est utilisé dans la liturgie en en apprenant davantage sur son histoire et sa signification.

Comment voyez-vous donc ces objets ? Et que pensez-vous de tous ceux qui sont conservés dans les musées aujourd’hui mais ne sont plus utilisés ?

Je comprends mieux qu’avant l’intérêt artistique de ces objets, mais je ne pourrai jamais cesser de les voir à partir de la fonction pour laquelle ils ont été fabriqués, car cette fonction est plus forte que la valeur artistique. La beauté n’est pas une fin en soi mais sert à manifester quelque chose de plus profond qui est justement ce qu’elle accueille, ce qu’elle célèbre et représente. Le calice le plus beau, le plus orné et le plus riche de pierres précieuses l’est ainsi parce qu’il accueille la chose la plus précieuse que l’on puisse avoir, à savoir le sang du Christ. Pourquoi les vêtements portés par les célébrants doivent-ils être beaux ? Non pas parce que c’est un défilé de mode, mais pour manifester la présence du Christ. 

Je déplore un peu le non-respect de la nature de ces objets. Je comprends qu’un calice n’est parfois plus en état d’être utilisé sans risque de détérioration et je comprends aussi que si un musée ne possède que trois calices, en retirer un pour une messe et laisser la vitrine à moitié vide est compliqué. Mais je pense que si un objet est en état de servir pour la liturgie, pour des occasions spécifiques (je ne parle pas de tous les jours) il devrait être utilisé. Le faire respecterait sa nature, la raison pour laquelle il a été créé.

© Lucie Mottet

Mais ne pensez-vous pas que cette nouvelle fonction des objets dans les musées est intéressante ? Nous voulons dire par là que le fait qu’ils soient exposés publiquement permet de parler de l’histoire et du message chrétien à un public qui aujourd’hui ne rentre pas dans les églises.

Bien sûr et notre musée est aussi conçu pour être un lieu de rencontre et de dialogue, un lieu pour redécouvrir le monde chrétien. Aujourd’hui, de nombreux symboles et signes qui faisaient autrefois partie des références collectives ne parlent plus à tout le monde. Tout cela doit donc être transmis et c’est aussi la tâche de notre musée. Aujourd’hui plus que jamais, les gens cherchent à rencontrer Dieu et entrer dans un musée, voir ces objets, peut leur permettre d’entrer en dialogue avec quelque chose de plus profond. Mais là, je devrais peut-être utiliser la maxime de l’esthétique augustinienne qui est l’itinéraire de la beauté : j’imagine que notre musée sera un grand itinéraire, un chemin, une voie partant de la beauté extérieure de ces objets que nous verrons et qui touchera notre intérieur, lui permettant de s’élever vers quelque chose de plus sublime qui est ce pourquoi il est destiné.

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