La Terre Sainte dans les yeux des pèlerins toscans
La légende raconte que le premier soldat « franc », hissé sur les murailles de Jérusalem en 1099, aurait été toscan. Cet automne, à Florence, une grande exposition sera inaugurée : « Le trésor de la Terre Sainte au musée Marino Marini. La beauté du sacré : l’autel des Médicis et les dons des rois ». Une occasion pour nous de revenir sur la longue histoire entre la Terre Sainte et la Toscane. Petit abrégé par François-Joseph Klos, volontaire au Terra Sancta Museum et étudiant en Master d’Histoire.
Dès l’époque romaine, le port de Pise revêt une véritable importance dans le commerce méditerranéen. Et si Pise connaît des périodes de tensions avec les musulmans en Méditerranée, repoussant les raids « de corsaires arabo-berbères – que les Toscans appelaient agareni ou sarrasins » au Xe et XIe siècle, elle installe rapidement des marchands et des colons à Jérusalem et dans les ports des rivages syro-palestiniens[1].
La légende dit même que le premier soldat « franc » qui serait monté sur les murailles de Jérusalem, lors de la prise de la ville par Godefroy de Bouillon en 1099, aurait été un certain Pazzo de’ Pazzi, chevalier toscan. Il aurait ensuite rapporté dans son pays trois pierres prélevées sur l’édicule du Saint Sépulcre. De cette tradition est née la cérémonie du « Scoppio del Carro », inspirée du feu sacré célébré chaque Samedi saint au Saint-Sépulcre.
TÉMOINS DE LA MISSION DES FRANCISCAINS
Au XIVe siècle, les récits de pèlerinages toscans sont également nombreux. Niccolò da Poggibonsi, célèbre pèlerin franciscain en Terre sainte, voyage dans les années d’installation des frères sur le mont Sion ; il décrit déjà la présence des frères dans la Basilique du Saint-Sépulcre. D’illustres florentins, Frescobaldi, Sigoli et Gucci, donnent lieu à des récits indiquant la présence des frères au Saint-Sépulcre et à la Nativité.
Frescobaldi et Sigoli sont particulièrement intéressants car ce sont les seuls pèlerins qui assimilent les « chrétiens de la ceinture » (rapport à la ceinture portées par les dhimmis en Terre d’Islam) aux chrétiens convertis par l’apôtre saint Thomas (apôtre des Indes) qui selon la tradition aurait reçu la ceinture de la Vierge Marie (ayant été absent le jour de l’Assomption et ayant eu des doutes, elle la lui donne comme témoignage que l’événement est bel et bien advenu). Cette mention s’explique par le fait que la relique de cette ceinture est conservée au Duomo de Prato à quelques kilomètres de Florence[2], les voyageurs toscans plein de leur culture d’origine opèrent donc des rapprochements inédits.
Nous avons encore le récit de Mariano di Nanni, prêtre de Sienne, qui décrit l’implication des frères dans l’accueil des pèlerins, notamment ceux de la péninsule italienne. Le voyage du dominicain Alessandro Rinuccini montre quant à lui l’implication des frères dans l’accompagnement des pèlerins lors des offices religieux comme les vigiles du carême au Saint-Sépulcre.
REPRÉSENTER JÉRUSALEM À FLORENCE
Dans certain récit, comme dans celui de Zanobi di Antonio del Lavacchio, un rapprochement est opéré entre les lieux saints et les lieux franciscains florentins. L’auteur tente ainsi une comparaison entre le Mont Sion et l’église florentine San Salvatore al Monte. Notons par ailleurs une coïncidence intéressante: le chemin escarpé entre la porte San Niccoló et la dite église est le lieu où les franciscains ont établi au XVIIe siècle un des premiers chemins de croix en Toscane[3].
Frère Tommaso da Firenze, au début du XVIe siècle, fonde Nova Jerusalem, une série de chapelles auprès du couvent franciscain de san Vivaldo près de Montaione. Dans cet endroit empreint de spiritualité, Frère Tommaso da Firenze érige, entre 1500 et 1515, un ensemble de chapelles et de petits temples ornés de terres cuites polychromes représentant des scènes de la vie et de la Passion du Christ. Ces édifices sont disposés de manière à reproduire, à une échelle réduite, le plan de la Jérusalem de l’époque. Grâce à une bulle papale de Léon X qui accordait des indulgences aux visiteurs de San Vivaldo, ce sanctuaire niché dans la nature devient un lieu de pèlerinage alternatif pour ceux ne pouvant se rendre en Terre Sainte,[4] notamment durant la période ottomane.
Les liens unissant Terre sainte et Toscane s’expriment au travers des récits de voyages toscans et par une volonté de lier lieux franciscains et lieux saints de Jérusalem. Ces liens seront portés à leur apogée dans les relations qu’entretiendront la plus puissante famille florentine, les Médicis, avec le Saint-Sépulcre. À découvrir dans le prochain article ! Restez connectés !
[1] Franco Cardini : “Tra memoria, reinvenzione e alibi. La crociata a Firenze nel XV secolo” in Nejedlý, Martin. Histoires et Mémoires Des Croisades à La Fin Du Moyen Âge. Presses Universitaires du Midi, 2015.
[2] Rouxpetel, Camille. L’Occident Au Miroir de l’Orient Chrétien : Cilicie, Syrie, Palestine et Égypte, (XIIe. -XIVe. Siècle). École française de Rome, Rome 2015.
[3] Franco CARDINI : “La Toscana e la Custodia di Terra Santa” in Piccirillo, Michele (dir.), La Custodia Di Terra Santa E l’Europa : I Rapporti Politici E L’attività Culturale Dei Francescani in Medio Oriente. Il Veltro, 1983.