La médecine en Terre Sainte : symbole d’une charité internationale et interreligieuse.
Jérusalem 1785
En 1785, une épidémie de peste frappe la Terre Sainte. Plus d’un siècle plus tard, en 1898, Paolo Gaidano immortalise dans un tableau la pietas des franciscains qui soignèrent les musulmans sans se préoccuper du danger. Dans le tableau, l’échange de regard est extrêmement touchant et fait entrer le spectateur dans la composition : un des deux frères mineurs au premier plan soutient un mourant, tandis que l’autre lui donne la bénédiction apostolique, présentant le crucifix. Le malade, à l’agonie, et trop mal portant pour être transporté, semble avoir un avant-goût de la quiétude des paroles d’espérance annoncées par le frère avant de s’abandonner à la mort.
L’œuvre de Gaidano dépeint de façon extrêmement réaliste de la vie en ces temps : la charité et la piété humaine du premier plan s’entremêle avec des scènes de désespoir et d’indifférence réciproque à l’arrière-plan.
Bien des frères infirmiers furent contaminés et moururent de ce geste altruiste, pour être alors inhumés avec ceux-là même qu’ils avaient secouru, dans une fraternité idéale entre bienfaiteurs et bénéficiaires.
Soin de l’âme et du corps
Au cours de des grandes épidémies de peste de 1347 et 1370, l’activité des médecins franciscains en Terre Sainte fut particulièrement efficace et précieuse, dans un environnement à majorité musulmane qui considérait inutile de prendre des mesures de précaution contre le fléau.
Les médecins franciscains, estimés par la population et l’autorité islamique, furent très recherchés pour leur compétence. Nombreux sont les témoignages des interventions, aides médicales, et soins procurés non seulement aux pèlerins chrétiens, mais aussi aux musulmans.
Dans leurs récits, de nombreux pèlerins parlent de l’œuvre des frères en Terre Sainte, qui se consacrent non seulement à accompagner les pèlerins vers une « guérison » de l’âme, mais aussi du corps.
Il faut en effet se rappeler des difficultés que soulevaient alors le pèlerinage en Terre Sainte. Les pèlerins entreprenaient ce long voyage dans des conditions sanitaires précaires, risquant leur propre vie, et courant d’innombrables risques. Quand leur fortune et condition physique leur permettaient de mener leur pèlerinage à terme, ils étaient souvent à leur arrivée fragiles, faibles, ou malades.
Solidarité et prévoyance
Les multiples dispositions et mesures de précaution des frères font prendre conscience de leur esprit de solidarité, mais aussi de leur prévoyance en situation de crise épidémique. Les franciscains ne pouvant pas disposer de lazarets – ces derniers n’apparaissent au Moyen-Orient qu’au XVIIIème siècle –, ils instituèrent la pratique du « confinement », que nous définirions aujourd’hui comme une « quarantaine ».
Il s’agissait d’une mesure de précaution, consistant en l’isolement complet, en s’enfermant au couvent à la première manifestation de peste en ville, avec une interdiction stricte de sortir. Une fois la décision de confinement prise, cependant, un groupe de frères restait dehors pendant tout le temps de l’épidémie, pour le soin et le soutien spirituel des malades.
Parmi ces mesures de précautions se distingue également la « pince à hostie » : cette pince en argent terminée par une petite patène, sorte de petit plat, permettait de donner la communion aux malades, après avoir transporté l’eucharistie dans un ciboire approprié.
Un service rendu pour l’amour de Dieu
Cette activité particulière aux franciscains de Terre Sainte soulevait à l’origine des questions d’ordre juridique, historique, et professionnelle. En effet, la législation ecclésiastique interdisait et interdit encore aujourd’hui aux membres du clergé d’exercer la médecine. Ce veto s’explique par la grave responsabilité éthique assumée par le médecin lorsque la vie du patient est en jeu.
Toutefois, certains frères, avant de prendre l’habit religieux, avaient entrepris des études de médecine, infirmerie, et pharmacie. L’Eglise autorisa ces derniers à se substituer aux médecins « en cas de nécessité », et à condition que « le service soit rendu gratuitement et pour l’amour de Dieu ».
Ces cas de nécessité furent plus nombreux et urgents dans les pays de mission, où le manque de personnel spécialisé, la fréquence, et l’ampleur des épidémies ne pouvaient laisser indifférent les religieux.
Jusqu’au début du XXème siècle, les frères rendirent ces services comparables à ceux d’un véritable laboratoire pharmaceutique. Ils s’interrompirent progressivement avec l’avènement de la médecine moderne. Quoi qu’il en soit, l’œuvre de charité des frères de Saint Sauveur représenta pendant des siècles un symbole important d’altruisme et d’union au Moyen-Orient, et nous montre, aujourd’hui plus que jamais, la nécessité d’une solidarité internationale et interreligieuse.