Giulia Morotti, gardienne des Conduites
Depuis au moins le XVIème siècle jusqu’aux années 1990, les Frères ont consignés à la main tous les dons reçus pour leurs œuvres en Terre sainte. Leur étude permet de révéler une histoire inédite des liens entre la Custodie et les fidèles du monde entier. C’est ce que nous révèle Giulia Morotti, « gardienne des conduites », qui en fait son sujet d’étude avec l’université catholique du sacré coeur (Milan).
Giulia, comment avez-vous connu le musée du Terra sancta?
J’ai connu le projet des Franciscains grâce à l’annonce du service civique italien auquel j’ai postulé en janvier 2022. Mon recrutement était fléché sur le travail de catalogage et l’étude du patrimoine du musée. Je suis arrivée en volontariat à Jérusalem en juillet 2022 au sein du bureau des Biens culturels.
Entrons dans le sujet de votre étude et racontez-nous ce que sont les “conduites” ?
Les conduites sont les registres manuscrits des dons reçus auprès de la Custodie de Terre sainte. Ce terme d’usage comprend des objets de natures diverses. D’abord, nous avons les registres en propres qui retranscrivent dans l’ordre d’arrivée, objets de valeur, biens alimentaires, vêtements et tissus, matériels de construction et argent. Ensuite, nous avons les registres des “conducteurs”, c’est à dire ceux qui s’occupent du transport jusqu’en Terre sainte, des manuscrits mentionnant les documents officiels ainsi que les autres écrits de quitance avec leurs notes comptables. Les conduites ont été conservées dans leur grande majorité et sont consultables pour les périodes allant du XVIème au XXème siècle. Aux Archives historiques de la Custodie, nous étudions un groupe de 16 manuscrits au contenu, à la datation et à l’aspect hétérogènes.
Quel travail a été effectué sur les conduites et qu’il y a t-il à découvrir encore ?
Ces dernières années, les anciens volontaires impliqués dans ce projet ont été d’une grande aide pour retranscrire le contenu des Conduites. Ce travail a permis de reconnaître les objets décrits à leur arrivée à Jérusalem et qui sont conservés par la Custodie. L’exercice demande beaucoup de temps parce que l’écriture traduit souvent la nationalité du frère, faisant du texte un parcours d’obstacle entre italien, espagnol et latin ! Les manuscrits les plus anciens sont les plus difficiles à retranscrire car la langue a évolué depuis. Avec leur étude, est né le projet d’une numérisation de ces ressources pour un meilleur partage des connaissances.
Comment mettez-vous votre expérience au service du Terra Sancta Museum?
Je suis diplômée d’une licence en lettre moderne et j’ai poursuivi mes études avec un master en filologie moderne. Ce parcours m’a donné les clefs pour l’étude et la transcription de ces conduites. Si la paléographie, la bibliologie et la filologie sont indispensables, le sens de l’intuition est essentiel pour la lecture. Un mot incompréhensible peut être simplement une erreur d’écriture. Par ailleurs, si le Frère est espagnol mais la langue écrite est l’italien, il y a des chances pour que les mots soient hybrides. Mon parcours m’a enseigné la manière d’appréhender les choses et je peux émettre l’hypothèse d’une écriture dictée qui expliquerait un certain nombre d’erreurs. Avec ce raisonnement, il est possible de déchiffrer une écriture difficilement lisible.
Parmi ces archives, lesquelles vous ont le plus marqué ?
Chaque registre a une vie propre : récit des rapports de la Custodie avec différents pays, récit du frère derrière la plume… Les objets qui émergent de cette enquête sont d’un grand intérêt historique. Il faut admettre que durant ces derniers mois, j’ai été tenu éveillée par l’énigme de conduites jumelles c’est à dire deux manuscrits différents qui rapportent le même contenu. Cette anomalie interroge les modalités d’utilisation de ces registres, de la vie administrative au monastère de Jérusalem et pose la question du nombre de conduites qui se sont perdues…
Souhaitez-vous ajouter quelque chose d’autre ?
Les chercheurs et historiens se sont intéressés aux conduites ces dernières années, passant au crible ces documents dans une recherche d’objets précieux ou d’une histoire nouvelle. Je pense en revanche, qu’il est essentiel de les considérer comme un livre d’histoire en soit, nonobstant les informations qu’elles recèlent. Derrières ces lignes, ce sont des centaines de personnes impliquées, frères, pères, “conducteurs”, roi, reines, empereurs. Les conduites sont une pièce du puzzle de la grande histoire de l’attention des fidèles et des grands de ce monde pour la Terre sainte.
(Traduit de l’italien par Henri de Mégille)