15 Octobre 2020

En dépit du Covid-19, réflexion et travail se poursuivent au Terra Sancta Museum

de EMILIE REY

A situation sanitaire exceptionnelle, comité scientifique exceptionnel. Les mardi 29 et mercredi 30 septembre 2020 s’est tenu à Paris la 6ème session de travail du comité scientifique du Terra Sancta Museum. De nombreux membres européens n’avaient pu faire le déplacement dans la capitale parisienne et c’est grâce à la technologie qu’ils purent apporter leurs contributions.

Un comité, quatre commissions

La première journée s’organisait en quatre groupes de travail : les publications, la médiation, le fonctionnement du musée et les travaux. « L’idée de travailler en sous-groupes avait déjà été évoquée lors de précédents comités, Béatrix Saule l’a concrétisée et c’est une expérimentation très intéressante » explique Frère Stéphane Milovitch, qui a fait le déplacement depuis Jérusalem. Il poursuit : « nous sommes dans une phrase du travail qui nécessite d’échanger et d’approfondir dans le détail certains enjeux tel le besoin en ressources humaines du futur musée, la formation et la qualification des futures équipes, la direction, la place des frères dans ce nouvel ensemble, la sécurité du musée… C’est tout nouveau pour le franciscain que je suis, nous ne sommes pas des gérants de musée ! Ces échanges ne permettent pas encore d’apporter des réponses toutes faites et il faudra, de toute évidence, du temps et du « sur-mesure » pour le Terra Sancta Museum. Cependant, ils permettent de lever de nombreuses interrogations, de penser le musée dans sa globalité, de nous fixer des échéances. Cela est très structurant et rassurant ».

Jérôme Dumoux, scénographe de la section historique et responsable de la commission « travaux » partageait à l’issue de ce premier après-midi de travail : « Les premières études qui ont été menées – sur les questions des évacuations d’eau pluviales et de l’humidité – nous permettront de faire des choix techniques pour prévenir tous risques d’inondation et assainir les espaces afin de protéger les œuvres. Les secondes études qui nous ont été présentées par l’Office Technique de Jérusalem portent sur la faisabilité structurelle du projet de scénographie : décaissement de sols, destructions de cloisons, ouvertures entre certaines salles. Elles nous confortent dans ce qui était imaginé et confirment la faisabilité du projet sans aucune remise en cause, ce que nous pouvions redouter pour certains points précis du parcours ! ». Ces études ne sont qu’un point de départ, Vincenzo Zuppardo – architecte du projet basé à Jérusalem – a également annoncé la réalisation prochaine d’un scanner complet de l’ensemble de l’édifice (le musée mais aussi l’église au-dessus et les citernes en sous-sol).

Un peu plus loin, la discussion s’animait sous la direction de Béatrix Saule plongée dans la rédaction des panneaux de salle de la future section historique. « A qui nous adressons-nous ? Aux pèlerins, aux chrétiens locaux, au monde juif et musulman, à des non-croyants ? » questionnait Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine dont la participation à cette commission a été vivement souhaitée. Entre prise en compte de l’identité chrétienne du musée (dont les franciscains sont les propriétaires) et souci d’apprendre quelque chose de nouveau aux visiteurs, l’équilibre n’est pas simple à trouver. « Trop scientifique, trop théologique, trop connoté, impossible à traduire dans d’autres langues… » les adjectifs et les synonymes fusent.  Le débat se poursuit avec Gabriele Allevi, à qui les multimédias du futur musée ont été confiés. Depuis Milan et en compagnie de l’agence Studio Base 2, il a présenté un premier projet pour le multimédia de la salle immersive dédiée aux pèlerinages.

De découvertes en découvertes

La deuxième journée était consacrée aux comptes rendus des commissions. Un mode de fonctionnement qui semble avoir séduit l’ensemble des membres du comité pour son efficacité. Le comité a donc acté la poursuite des réflexions au sein de ces quatre commissions avec une seule assemblée plénière (au lieu de deux) à l’année. Le comité a eu également la joie d’accueillir et de remercier Anne Dion, Conservateur au Département des objets d’art du Musée du Louvre pour les collections du 19e siècle, qui a accepté de prendre la direction du second catalogue d’orfèvrerie (19e, 20e et 21e)

Plusieurs experts se succédaient ensuite pour différentes communications. Ainsi Olivier Naude – artiste peintre et enlumineur – a pu présenter le fruit de son travail encore en cours d’achèvement : la composition de miniatures pour habiller les canons d’autel – « ces aides mémoires » comme se plait à dire Olivier Naude – en nacre de Bethléem. « Mon travail est de rendre l’infiniment petit mais de ne jamais oublier que cela doit rester une peinture expressive aussi petite soit-elle, pas des pattes de mouches ! » commente l’artiste qui travaille sur des formats allant de dix à 20 centimètres tout au plus. « L’enluminure c’est d’abord du trait, un dessin puis de la dorure et de la peinture. On procède par petites touches et pour vous donner une idée : la première commande du Terra Sancta Museum représente plus de 400 heures de travail ! ». Et l’on ne peut que s’extasier devant la finesse de la calligraphie et des motifs peints. Sur l’un des fonds réalisés on peut compter plus de 260 fleurs et boutons ! Malgré la petitesse des motifs, l’artiste a réussi à donner à chaque fleur un certain volume, renouant avec la tradition des moines copistes du Moyen-Age.

Florian Meunier, Conservateur en chef au Musée du Louvre pour le Haut Moyen Âge et l’art roman, prenait ensuite la parole pour un examen approfondi de la paire de chandeliers et la crosse du Trésor de Bethléem. Après avoir pu étudier des œuvres similaires à l’abbaye de Silos en Espagne, au Louvre ou encore à Cluny, le spécialiste a tenu à préciser que les émaux qui ont été communément attribué aux ateliers limousins sembleraient être en provenance de l’atelier itinérant de Silos. Comment ces œuvres et ces artistes sont-ils arrivés en Terre Sainte ? La question reste entière pour le spécialiste qui reste admiratif devant les motifs uniques figurés sur les chandeliers de Bethléem, des animaux fantastiques qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.

David Catalunya, chercheur à l’Université d’Oxford et au Max Planck Institute for the History of Science de Berlin, a ensuite partagé son projet quinquennal et européen de recherche : « Sound technologies of the Latin Christian Church 900-1300 ». Son objectif : écrire l’histoire des orgues médiévaux, analyser leur conception et leurs procédés de fabrication pour les reproduire et les entendre jouer. L’orgue de Bethléem du 12e siècle – une des pièces maîtresses du musée – ne pouvait qu’attirer l’attention de ce fin connaisseur. En attendant de pouvoir entendre les sons de cet orgue pluriséculaire, les connaissances de David Catalunya ont déjà permis de proposer une hypothèse de reconstitution de la forme qu’il avait à l’époque ! Un précieux apport pour la scénographie de l’exposition qui se veut la plus réaliste possible.

Un musée au service d’une histoire plurielle : locale et universelle

George Al’Ama, collectionneur palestinien, exposait ensuite et en direct depuis Bethléem, une découverte récente au sein des collections de la Custodie : 25 pièces parmi lesquelles des coiffes de mariage brodées et recouvertes de pièces d’argent et de perles de corail ainsi que des colliers en argent en provenance d’une quarantaine de villages situés autour d’Hébron et de Ramallah. « Des pièces rares qui témoignent de l’histoire des femmes en Palestine puisque ces objets précieux étaient transmis de mère en fille et qu’ils en restent actuellement très peu » décrit ce passionné d’art. « Comment sont-elles arrivées dans les collections de la Custodie ? S’agissait-il d’un don ou d’une offrande aux prêtres franciscains ? » se questionne déjà George Al’Ama qui entend bien répondre à la question. « Ces œuvres enrichissent le propos du musée et pourraient, elles aussi, témoigner d’un acte de foi locale » a quant à lui réagi Frère Stéphane.

Raphaëlle Ziadé, Conservatrice du département byzantin du Petit Palais, présenta ensuite une boîte-reliquaire miniature et une boucle de ceinture de pèlerinage, « des nouveaux souvenirs de pèlerinage du VIe-VIIe siècle en provenance de Jérusalem ». La boîte-reliquaire en os avec une croix gravée sur la face évoque la croix du Golgotha détaille Raphaëlle Ziadé. Elle a la particularité d’être peinte à l’intérieur et selon la conservatrice il n’y a que trois autres objets similaires connus : l’un est en Israël et l’autre en Jordanie. « Nous sommes face à une sorte de petit « grigri » de pèlerins en provenance de Jérusalem, que contenait-il ? Peut-être de la terre de Terre Sainte » expose-t-elle. Frère Stéphane qui accueille au quotidien des milliers de pèlerins à Jérusalem commente : « ces deux objets manifestent la dévotion des pèlerins des siècles derniers, ce avec quoi ils repartaient de Terre Sainte. Alors que ce qui arrivait en Terre Sainte est très bien documenté, nous ne connaissons que très peu ce qui en repartait. Cela me semble très intéressant pour la connaissance de l’histoire du pèlerinage ». Encore un nouvel objet qui pourrait venir enrichir les collections de la section historique !

Enfin, Marie-Armelle Beaulieu, partageait une rapide étude menée sur les programmes d’histoire enseignés dans les écoles palestiniennes et israéliennes. Des enseignements très circonscrits qui ont laissé le comité perplexe et mis en évidence des référents culturels bien différents. Une réalité à laquelle est déjà confrontée Sara Cibin, de l’association Pro-Terra Santa, en charge d’un projet européen en cours dans la première section – archéologique – du musée : « Terra Sancta Museum : A Community Living Museum for Palestinian Youth ». Parmi ses objectifs : collaborer avec des écoles publiques et privées palestiniennes situées dans les faubourgs de Jérusalem pour sensibiliser plus de 10 000 jeunes palestiniens à la diversité de leur identité et de leur patrimoine tout en leur permettant de s’initier à des pratiques culturelles. Autant d’efforts et d’expériences que le comité scientifique salue et entend bien prendre en considération dans sa réflexion et stratégie de médiations avec les populations locales.

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