Des vestiges du Saint-Sépulcre exposés au Terra Sancta Museum
Il y a quelques semaines, une équipe de restaurateurs menée par Piero Coronas était de passage à Jérusalem pour préparer une curieuse opération : le déplacement des colonnes et chapiteaux « du Saint-Sépulcre » au couvent de la Flagellation, dans la prochaine aile Sylvester Saller de la section archéologique du Terra Sancta Museum (TSM). Mais que sont ces vestiges et quelle est leur histoire ? Retour sur ces pièces uniques de nos collections.
L’histoire commence en 1969 alors qu’un grand chantier de restauration est lancé à l’intérieur de l’Anatasis [1] de la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem. En parallèle de la coupole, les travaux visent aussi à refaire la colonnade entourant le sépulcre du Christ (fig. 1) ; cette dernière avait, en effet, été remplacée par un mur (fig. 2) sous le mandat britannique suite aux incendies du XIXe siècle qui avaient grandement fragilisé l’ensemble.
À l’intérieur du mur, deux vestiges sont découverts du côté nord (fig. 3 et 4), dans la partie appartenant aux franciscains de Terre Sainte.
D’une part, deux colonnes monumentales à chapiteaux corinthiens [2], faisant partie de la rotonde, (ci-dessous « complexe A »). D’autre part, une paire de colonnes d’angle en forme de cœur, également à chapiteaux corinthiens. Ces dernières reposaient sur un bloc cylindrique en marbre et étaient coiffées d’un second chapiteau trapézoïdale servant d’imposte [3]. Ce deuxième ensemble (ci-dessous « complexe B ») supporte l’arche d’entrée du Catholicon [4].
Très endommagées, ces pièces ont été évacuées de l’église. D’abord entreposées sur l’esplanade d’entrée de la basilique (fig. 5), elles sont finalement déplacées dans l’ermitage du sanctuaire de Gethsémani (fig. 6, 7, 8).
Des colonnes romaines ?
La datation et l’origine de l’ensemble restent encore incertains. Cependant, on note une certaine similarité parmi les pièces, hormis la paire de chapiteaux servant d’imposte. Selon le frère Virgilio Corbo, archéologue du Studium Biblicum Franciscanum, ces vestiges auraient été placés à l’époque de la reconstruction du Saint-Sépulcre par l’empereur Constantin Monomaque, au XIe siècle.
Une des hypothèses concernant les deux colonnes du complexe A attribue ces dernières au règne d’Hadrien (117-138). En effet, l’empereur ordonna pendant son règne la reconstruction de Jérusalem et l’érection d’un temple en lieu et place du tombeau du Christ [5]. Suite à la reconstruction de l’église au XIe siècle, les colonnes de ce temple auraient été réutilisées pour construire une rotonde entourant le Sépulcre. Toutefois, on les aurait coupées en deux : on observe effectivement qu’elles pourraient se superposer pour ne former qu’une pièce (fig. 9), l’une étant plus large que l’autre et présentant un relief marquant sa base. Néanmoins, cette hypothèse a récemment été nuancée par une équipe d’archéologues florentins qui explique que, selon les canons esthétiques de l’ordre architectural corinthien, il manquerait un tiers de la hauteur de la colonne originale.
Et l’histoire se complique davantage si l’on se souvient que nombre de constructions du règne d’Hadrien réemployaient des pierres de l’époque Hérodienne (Ier siècle av. J-C – Ier siècle ap. J-C). « Toute l’histoire de Jérusalem, toute la souffrance de cette ville et de ses destructions est contenue dans ces colonnes » commente frère Eugenio Alliata, archéologue et directeur de la section archéologique du TSM. Le débat quant à leur origine est donc toujours ouvert.
Un même mystère entoure le complexe B supportant l’arche d’entrée du Catholicon, à l’exception peut-être des chapiteaux trapézoïdaux. En effet, plusieurs monogrammes au nom de l’empereur byzantin Maurice (582-602) et de sa famille offrent un indice important (fig. 10). Aucune intervention de cet empereur n’est connue pour le Saint-Sépulcre. En revanche, les archives de l’Église géorgienne mentionnent la dédicace, par ce même empereur, d’une église dans l’entourage du tombeau de la Vierge à Gethsémani, aujourd’hui détruite depuis longtemps. L’hypothèse d’une réutilisation au XIe siècle semble donc bien probable.
Quoi qu’il en soit de leur origine, ce sont bien ces vestiges qui ont servi de modèle à la reconstruction contemporaine de la colonnade (fig. 11) entourant le tombeau du Christ (toujours en place de nos jours). Si elle offre l’avantage d’une unité stylistique pour l’Anastasis, il n’en demeure pas moins, cependant, que cette reconstruction ne se base que sur ces quelques exemplaires retrouvés, sans certitude que le reste de la colonnade était aménagé avec les mêmes colonnes. Il faut en outre préciser que les deux gros chapiteaux du complexe A étaient bien trop endommagés à leur découverte pour permettre une reconstruction : ce sont donc des chapiteaux différents, provenant de l’église de Kursi en Galilée, qui ont servi de modèle.
Des pièces maîtresses pour la future salle du « Saint-Sépulcre »
La section archéologique du Terra Sancta Museum prévoit un étage consacré aux différents sanctuaires gardés par les franciscains. Reine de tous les lieux saints, la basilique du Saint-Sépulcre disposera naturellement d’une salle qui lui sera dédiée et qui accueillera ces vestiges. Mais au regard des dimensions impressionnantes de ces derniers et surtout de leur poids (plusieurs tonnes), leur déplacement jusqu’au sanctuaire de la Flagellation constitue un défi d’envergure nécessitant un travail en amont.
1. Dégagement et nettoyage des pièces
Déplacés au sanctuaire de Gethsémani, ces vestiges ont été installés dans le jardin de l’Ermitage où ils ont, jusqu’à aujourd’hui, paisiblement servi d’ornement. À l’heure de leur transport en vue de leur conservation à la Flagellation, il a été nécessaire de dégager leur base des terrasses sur lesquelles ils reposent, pour prendre toute la mesure de leur dimension (fig. 12) et effectuer un scan en 3D (fig. 13).
Ensuite, un nettoyage a été nécessaire afin de les débarrasser des organismes (fig. 14, 15), végétaux notamment, s’étant développés à leur surface. Le produit utilisé pour cette opération a été élaboré pour les musées du Vatican, par un professeur soucieux de l’impact de ce type d’opération sur les pièces restaurées mais aussi sur leur environnement (naturel ou humain). Le mélange, non polluant, se compose de produits naturels dont de l’origan.
Ce dernier détail est important en ce que la Palestine possède une variété locale d’origan, l’organum syriacum, très connue localement car entrant dans la composition du Zaatar, une épice locale. En plus d’être naturel, ce produit présente donc l’avantage de pouvoir être fabriqué entièrement sur place à partir d’ingrédients disponibles in situ : en somme, un produit local pour restaurer un patrimoine local.
2. Identification des fissures et fragilités
Mais l’opération la plus importante se trouve sans doute dans l’identification des fissures s’étant progressivement développées dans la pierre. En effet, au fil des siècles, vibrations, incendies et intempéries ont endommagé ces vestiges et leurs conséquences ne sont pas toujours visibles ou mesurables à leur surface. Connaître ces fissures c’est pouvoir intervenir en amont du transport et de l’installation de ces pièces, de manière à diminuer au maximum le risque que l’opération ne les fragmente davantage.
Une des techniques utilisées pour cela est la thermographie. Consistant en l’observation des variations de températures à la surface de la pierre, elle permet de repérer les fissures, plus froides que la surface dû à l’entrée d’air et d’eau, et d’en évaluer la profondeur.
3. Prélèvement de pigments
La dernière opération préparatoire de cette visite fut le prélèvement d’un extrait de la couche pigmentaire qui persiste à la surface d’une des colonnes du complexe B. N’étant pas liée directement à leur conservation, cette opération a pour but d’analyser de ces pigments en laboratoire afin d’obtenir une datation plus précise de l’ouvrage et, peut-être, la confirmation qu’il fut bien réalisé il y a mille ans.
Le déplacement de ces vestiges monumentaux représente un des chantiers du musée les plus importants et impressionnants de l’année 2022. Cette intervention est essentielle en vue de l’ouverture complète de la section archéologique du Terra Sancta Museum et les futures salles de l’aile Saller se préparent déjà, en parallèle, à accueillir ce trésor historique et archéologique. Néanmoins, au regard des conditions météorologiques encore instables à l’heure de la rédaction de cet article, ce transfert devra encore attendre le début du mois de mai prochain pour pouvoir se faire dans les meilleures conditions. Comme le dit l’adage : « La patience est mère de toutes vertus » …
[1] Du grec ancien « ανάσταση » qui signifie résurrection. Par extension, ce terme désigne ici l’espace circulaire, délimité par la rotonde, accueillant le tombeau du Christ à l’intérieur de la basilique du Saint-Sépulcre.
[2] Ordre architectural créé dans l’Antiquité grecque, notamment caractérisé par des chapiteaux décorés de feuilles d’acanthe.
[3] En architecture, l’imposte est une pierre saillante placée en haut d’un mur, d’un pilier ou d’une colonne et supportant la base d’une arche.
[4] Le catholicon est l’église principale ou le bâtiment principal d’une église d’un monastère chrétien orthodoxe. Dans la basilique du Saint-Sépulcre cohabitent plusieurs monastères (franciscain, grec orthodoxe, arménien, éthiopien, copte et syriaque orthodoxe). Le catholicon est l’église appartenant aux grecs orthodoxes, située au centre de la basilique et dont l’entrée fait face au tombeau du Christ.
[5] Selon Saint Jérôme, deux temples avaient été érigés. Un temple dédié à Jupiter sur le tombeau du Christ, un autre dédié à Vénus sur le Calvaire.