21 Septembre 2023

Tour d’horizon des ateliers du couvent Saint-Sauveur, d’hier à aujourd’hui

de HENRI DE MEGILLE

Au cœur du quartier chrétien de Jérusalem, le couvent Saint-Sauveur est une fourmilière abritant de nombreuses activités. Si l’ancienne pharmacie ou l’imprimerie franciscaine sont désormais bien connues, d’autres ateliers traditionnels, restés à l’abri des regards, témoignent du dynamisme de ce couvent et des missions des frères de la Custodie de Terre Sainte. Tour d’horizon.


Le moulin à farine et la boulangerie où l’on travaillait jour et nuit pour pourvoir en pain quotidien 5 couvents, les pauvres et les pèlerins. Le four à deux étages consommait une tonne de farine par jour et cuisait 2 700 pains à la journée, 12 000 à la semaine dont la plus grande partie était distribuée aux pauvres, le reste dans les couvents.

Quand mission rime avec formation

« Moi, je travaillais de mes mains, et je veux travailler ; et tous les frères, je veux fermement qu’ils s’emploient à un travail honnête. » partage Saint François d’Assise dans son Testament. L’esprit franciscain conçoit le travail comme une vertu. C’est aussi une nécessité dans le contexte de la Terre Sainte où les Frères ont appris à vivre en autarcie car seuls chrétiens latins autorisés à demeurer à Jérusalem. Ils développèrent alors un large panel de métiers pour répondre, dans un premier temps, à leurs besoins : meunier, boulanger, ferronnier, fabriquant d’orgues, cordonnier, relieur, blanchisseur, tailleur, menuisier, ébéniste, tailleur de pierres … Par la suite, bon nombre d’apprentis arabes, issus de l’orphelinat franciscain et de leurs écoles, ont été formés pour ouvrir ensuite leurs propres échoppes un peu partout en Palestine.

En 1730, on relève seulement quelques apprentis. Ils sont 120 ouvriers qualifiés au milieu du 20ème siècle et leurs activités se maintiennent jusque dans les années 1970. Dans un souci de transmission et de formation, les Frères ont contribué de manière non négligeable au développement économique de la vieille ville de Jérusalem et au-delà. Une exposition au couvent a d’ailleurs rendu hommage à ces ateliers et leurs traces sont toujours visibles dans le labyrinthe qu’est la maison-mère des Franciscains de Terre Sainte.

Quelques ateliers disparus

Pour aborder cette description des anciens ateliers de Saint-Sauveur, il faut avoir en main l’incontournable album de la Mission franciscaine de terre sainte, 1er volume Judée et Galilée (Gualassini & Bertarelli) de 1893 ainsi que l’album dédié au couvent dans le répertoire Sanctuaria Terrae Sanctae de 1895. Ils témoignent au fil de photographies qui sont parmi les premières prises au Proche-Orient, de la vie quotidienne des Frères dans la Palestine ottomane. Certaines révèlent des installations surprenantes…

L’incroyable machine à vapeur 

Du 19ème jusqu’au début du 21ème siècle, la « cour des ateliers » abritait les activités au rez-de-chaussée à commencer par une extraordinaire machine à vapeur ! Elle se composait d’un système mécanique avec un axe tournant sur lequel étaient fixées des courroies qui alimentaient en énergie toutes les machines-outils du couvent : forge, menuiserie, typographie, moulin à farine… L’axe de rotation de cette super dynamo mesurait la longueur du bâtiment de l’actuelle bibliothèque custodiale. Il était solidement fixé au mur par des puissants supports comme celui encore visible dans la salle de lecture, dernier vestige conservé.

La forge des frères

Cette source d’énergie disparut avec les ateliers qu’elle alimentait et au premier plan, la forge. Au début du siècle dernier, la forge employait 8 ouvriers sous la supervision d’un frère. Grilles, garde-corps et ferronneries de toutes sortes étaient fabriquées à Saint-Sauveur. On en retrouve dans les églises de Palestine bien que certains éléments aient été remaniés depuis. Sur la photo-souvenir de l’atelier, on remarque des volutes métalliques, les mêmes que les garde-corps en fer forgé de l’actuel bureau des biens culturels de la Custodie. Il s’agit en fait d’éléments décoratifs fabriquées pour l’ancienne basilique de l’Annonciation de Nazareth. Ces garde-corps étaient placés au niveau de l’autel et de part et d’autre de l’escalier descendant à la crypte. Trop étroite, la basilique fut reconstruite en 1969 par l’architecte Giovanni Munzio et est aujourd’hui la plus grande du Proche-Orient.

« Donner le la » : la fabrique d’orgues 

Pour accompagner la liturgie en Terre Sainte, il était important d’équiper les églises d’orgues à tuyaux notamment l’église-Mère du Saint-Sépulcre et d’enseigner la musique ! Agostino Al’Ama issu de l’orphelinat des Frères, a passé presque 70 ans au Saint-Sépulcre en tant qu’organiste. Directeur de la “Schola Cantorum de Terre Sainte” il fut également un compositeur de talent à l’origine de nombreuses innovations dans la musique contemporaine palestinienne. Les Frères se souviennent encore du franciscain espagnol Delfino Fernandez Taboada, dernier facteur d’orgue de la Custodie. Aujourd’hui c’est le spécialiste autrichien Rieger qui assure l’entretien techniques des orgues de la Custodie. 

Les plus anciens vestiges d’orgues connus sont conservés dans les collections du Terra Sancta Museum. Il s’agit de l’orgue de l’église de la Nativité de Bethléem. Il a sans doute été apporté en Terre Sainte par les Croisés français avant d’être enfoui sous terre à la fin du 12ème siècle et redécouvert, presque pas hasard, en 1906 ! Il sera exposé au cœur du musée historique actuellement en construction au couvent Saint-Sauveur. Cette tradition de musique d’orgue se perpétue jusqu’à aujourd’hui et en plusieurs pays de la Custodie avec le Terra Sancta Organ Festival.

Des artisanats du fil : cordonnerie et reliure

L’album de 1893 rapporte l’existence d’une cordonnerie active à Saint-Sauveur. Sept ouvriers et apprentis fabriquaient des sandales pour 500 religieux mais aussi « les orphelins et les nécessiteux ». On retrouve leurs modèles jusqu’à aujourd’hui dans les commerces locaux.

La reliure est un artisanat qui permet d’assurer la pérennité des livres en assemblant par couture ses feuillets. Le maître- relieur avait la charge de remettre à neuf également des livres défraichis. Les halls du couvent conservent aux côtés d’anciennes presses venues d’Europe centrale, une perforeuse qui permettait après impression, de tailler les bords en cartons et le cuir pour finaliser le travail de reliure. Si cet artisanat manuel a disparu du couvent, l’imprimerie de la Franciscan Printing Press existe toujours et ses machines ont été relocalisés à Betphagé sur le mont des oliviers.

Des ateliers toujours en fonctionnement

Les ateliers de Saint-Sauveur témoignent du lien ancien et étroit entre les Frères et les populations arabes de la ville sainte. Dans cette tradition, la Custodie emploie aujourd’hui près de 1200 employés dont une part importante d’ouvriers et d’artisans au sein du couvent.

La sartoria ou la haute-couture franciscaine !

« C’est une affaire calme et sereine que la vénérable barbe blanche du chef éclaire d’une auréole patriarcale »… ainsi le père Bonaventure Sanson décrivait dans la revue de la Terre Sainte, la sartoria en 1939. Fort d’une dizaine d’employés, ce service qui regroupe la buanderie et le tailleur est une des activités les plus dynamiques de la Custodie. Au service des frères, des sanctuaires, des écoles et des pèlerins la sartoria gère le cycle du linge, des vêtement religieux et confectionne, chaque année, une centaine d’habits franciscains. 

Ses activités se situaient, au cœur du couvent, dans l’actuelle cour occupée par l’association Pro Terra Sancta qui vient en aide aux œuvres de la Custodie. On reconnait l’emplacement de la buanderie par sa citerne dont la réserve d’eau servait au nettoyage. La poulie avec son bac permettait de faire sécher le linge sur la cour supérieure où il était repassé et reprisé. 

Une menuiserie modernisée

À la fin du 19ème, la menuiserie de Saint-Sauveur employait 28 ouvriers avec leurs apprentis. Les bancs des sanctuaires, les confessionnaux et les portes de nombreuses églises ont été produits à Saint-Sauveur. Maurizio, menuisier professionnel volontaire au service des biens culturels témoigne de cette émulation : “Quand je regarde ce qui a été fait, j’y vois la foi des artisans qui, comme moi aujourd’hui, étaient au service de la Custodie. (…) J’ai découvert que certains des meubles que je préfère à la Custodie ont été créés à l’époque où il y avait ici une menuiserie, tenue par des frères qui avaient comme aides et apprentis des habitants de Jérusalem et des environs. (…) Et l’artisanat local a également été influencé par leur présence.

Le savoir-faire de menuisier-ébéniste se transmets aujourd’hui avec Khalil Shaeed et ses acolytes. Lors des solennités telle la Visitation le 31 mai, les artisans ont construit par exemple un monumental autel dédié à la Vierge Marie qui y est honorée à la fin d’une grande procession dans le quartier chrétien.

L’Office technique et son héritage

Dans la ligne droite des tailleurs de pierre et des bâtisseurs d’hier, l’Office technique s’occupe des travaux d’entretien des sanctuaires et des couvents de la Custodie. Réfection de la chapelle latine du Saint-Sépulcre, du réfectoire de Saint-Sauveur, travaux du Terra Sancta Museum… ses 8 ouvriers renforcés par des techniciens extérieurs sont sur tous les fronts. Les ateliers d’autrefois se sont naturellement professionnalisés et incorporent également des architectes, ingénieurs, communicants …

Aujourd’hui encore, bien que les besoins aient évoluées, la Custodie continue à maintenir ce type de formations à des métiers manuels avec la communauté locale. C’est le cas avec le Mosaïc Center de Jéricho ou lors de l’organisation d’ateliers de formation à l’architecture organisés par le Terra Sancta Museum à l’université de Bethléem. Le projet du Terra Sancta Museum tel qu’il est porté sur place par une jeune équipe palestinienne et internationale, s’inscrit dans cette continuité : l’esprit d’apprentissage et de partage de connaissances mais plus encore le goût du beau hérité de la lignée des artisans du couvent de Saint-Sauveur.

Remerciements :

Merci au Fr. Stéphane Milovitch ofm, directeur de l’office des biens culturels de la Custodie de Terre Sainte, et à Marie-Armelle Beaulieu, directrice de la revue Terre Sainte Magazine, d’avoir rassemblé archives et souvenirs.

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