L’enluminure : « une patience archangélique et un œil de lynx »
Olivier Naude mène une double vie à Paris. Chargé d’études dans une compagnie d’assurances le jour et artiste enlumineur durant son temps libre, il vient de réaliser plusieurs créations pour le Terra Sancta Museum. Des moines copistes qui ont fait l’âge d’or des enluminures au Moyen-Âge, il a toute la précision, la patience et la passion. Rencontre avec celui pour qui la feuille d’or n’a plus aucun secret.
Nous sommes en pleine réunion du Comité Scientifique du Terra Sancta Museum, en septembre 2020, Olivier Naude qui a été invité à participer à une session de travail, ouvre avec délicatesse les feuillets qui renferment les œuvres qu’il a réalisées pour le Terra Sancta Museum. « Pour cette première commande, cela représente plus de 400 heures de travail » glisse-t-il humblement. 400 heures pour réaliser les trois fonds enluminés qui habilleront les canons d’autel en nacre de Bethléem. Les membres du Comité s’extasient devant la finesse de la calligraphie et les motifs peints. Quelques jours plus tard, nous le retrouvons dans l’atmosphère feutré de son appartement parisien. Sur les murs, des enluminures aux couleurs chatoyantes sont accrochées çà et là, des compositions pour la plupart présentées, en 2019, lors de l’exposition « Enluminures, peindre l’infini sous la forme du minuscule » à l’Institution Sainte-Marie d’Antony en région parisienne.
La polyvalence d’un artiste
En bon pédagogue, Olivier Naude nous explique d’abord que l’enluminure regroupe différents métiers : « jusqu’au XVIIIème, les enlumineurs travaillaient de concert avec les calligraphes et les scribes qui retranscrivaient les textes mais aussi avec les doreurs qui exerçaient sur les manuscrits. Les enlumineurs n’intervenaient que pour la décoration du livre. Ils peignaient véritablement. D’ailleurs les plus grands enlumineurs de la fin du Moyen-Âge français, Jean Fouquet ou Jean Bourdichon, étaient avant tout des peintres, tout comme leur contemporain italien, Fra Angelico ». Aujourd’hui, la principale difficulté, nous explique-t-il, c’est que les enlumineurs ne travaillent plus en atelier ni en synergie avec les autres artisans. L’enlumineur est désormais obligé de pratiquer seul la calligraphie, la dorure pour enfin en venir à la peinture qui est le cœur de son métier.
Olivier Naude travaille sur des papiers spéciaux qui imitent parfaitement le parchemin ou du parchemin véritable – cette peau d’agneau ou de chevreau qui nécessite plusieurs semaines de préparation. La première étape du travail est la réglure ou la mise en page, c’est-à-dire le traçage des lignes qui guideront l’écriture des lettres, puis le texte est ensuite placé. Le travail se poursuit avec le dessin puis vient la dorure, une étape qui requiert une grande minutie. « Cela peut paraître surprenant mais les parties à dorer sont réalisées juste après le dessin. La dorure ne peut pas être appliquée après la peinture puisque les paillettes de métal qui se détachent ont tendance à adhérer à la couleur » détaille ce passionné.
Mais ce qui a fait la gloire des manuscrits du Vème siècle jusqu’au XVIIIème siècle, c’est la pause de la couleur – constituée de pigments naturels – qui va donner tout son relief et cet aspect éclatant aux miniatures des manuscrits. Des œuvres si réputées que même les révolutionnaires français n’oseront pas les détruire lors des nombreux saccages de bibliothèques d’abbayes raconte Olivier. « Il ne faut pas oublier que jusqu’à la Renaissance, les deux grands supports de la peinture ont été les murs des églises et le livre. Comme les livres sont conservés fermés, les peintures ont été parfaitement préservées, et c’est un éblouissement pour les yeux ! ». Un patrimoine de mieux en mieux connu grâce à Internet qui diffuse désormais des manuscrits numérisés.
Inspiration et création
Contacté par Jacques Charles-Gaffiot – membre du Comité scientifique – lors de la restauration des canons d’autel du XVIIème siècle et XVIIIème siècle réalisés par des maîtres nacriers de Bethléem, Olivier Naude constate que les textes de ces « aide-mémoires pour célébrant » ont disparus. « Il m’a d’abord fallu transcrire les textes liturgiques, qui sont obligatoires et consacrés par des usages multiséculaires, de la manière la plus fine possible pour laisser un peu de place à l’enluminure car je suis avant tout enlumineur, pas calligraphe ! ». Un réel défi pour cet artiste qui a travaillé sur des formats allant de dix à vingt centimètres tout au plus : « je ne pensais pas pouvoir réaliser des caractères calligraphiques aussi petits. Je plains le pauvre célébrant qui devra l’utiliser, il va s’arracher les yeux » plaisante-t-il !
L’artiste a ensuite pu laisser libre cours à son inspiration pour les enluminures. « Pour les premiers canons que j’ai réalisés, je me suis inspiré des manuscrits commandés par Louis XIV à l’atelier d’enluminures des Invalides, à Paris. Cela s’inscrivait bien dans le cadre du musée. Pour la seconde commande, les canons sont un peu plus grands et rappellent le baroque italien donc je me suis inspiré d’un manuscrit du XVèmesiècle florentin, le bréviaire du roi de Hongrie Matthias Corvin, ouvrage très richement décoré».
L’enluminure, une peinture expressive
Olivier Naude, assis devant sa planche à dessiner, jongle avec aisance entre les pinceaux et les matériaux pour nous montrer la dorure et la couleur qu’il s’évertue à appliquer. Sur le canon central, les guirlandes sont constituées de plus de 260 fleurs avec leurs boutons ; les médaillons retracent quant à eux l’enfance du Christ fidèlement au lieu de production des encadrements, Bethléem. « Mon travail est de rendre l’infiniment petit mais de ne jamais oublier que cela doit rester une peinture expressive aussi petite soit-elle, pas des pattes de mouches ! Pour cela, il n’y pas de mystère : une peinture réussie repose sur un dessin réussi c’est-à-dire un trait finement tracé et expressif. Un peu comme les personnes que l’on définit par leurs traits de caractère!».
La progression est lente et le travail délicat pour préserver ce qui a déjà été réalisé. « Voyez ces fonds, ce n’est qu’une succession de petites touches de pinceaux qui permettent de réaliser ce dégradé de bleu si velouté, même le manteau de la Vierge qui est lui-même bleu se détache du fond » nous montre-t-il sur la première commande qui regagnera très prochainement Jérusalem. Et l’artiste de conclure avec un brin d’humour : « dans l’enluminure, le plus dur c’est de tenir ! Il faut avoir une patience archangélique et un œil de lynx! C’est un métier contemplatif, je comprends pourquoi se sont des moines, totalement inconnus, qui ont pratiqué cet art pendant des siècles, psalmodiant leurs psaumes entre deux séances d’enluminure ».